Pour saluer Alasdair MacIntyre, penseur essentiel

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Alasdair MacInture vient de mourir à l'âge de 96 ans. Voici le chapitre que je lui ai consacré dans mon livre Pour une nouvelle théologie politique (Parole et Silence, 2008) :

Né en 1929 à Glasgow, Alasdair Chalmers MacIntyre a étudié au Queen Mary College de Londres, puis à Manchester et Oxford avant d’enseigner à Manchester, Leeds, Essex et Oxford. En 1953, il publie son premier livre, consacré au marxisme.1 En 1969, il émigre aux États-Unis. Il enseigne au Wellesley College puis dans diverses universités : Vanderbilt, Princeton, Brandeis, Boston, Duke, Yale et surtout dans la grande université catholique Notre-Dame, dans l'Indiana. Il a épousé en troisièmes noces la philosophe Lynn Joy.
Parmi sa trentaine d’ouvrages, trois d’entre eux ont eu un fort retentissement, marquant un nouveau départ dans la philosophie morale contemporaine: Après la vertu en 19812, suivi sept ans plus tard par Quelle justice ? Quelle rationalité ? puis Trois versions rivales de l’enquête morale : Encyclopédie, Généalogie et Tradition, en 1990. Ces dernières années, il a rassemblé des séries d’études publiées dans des ouvrages collectifs dans deux livres : The Tasks of Philosophy et Ethics and Politics: Selected Essays. Plus récemment, il s’est intéressé à l'œuvre philosophique d'Édith Stein.
L’itinéraire intellectuel de MacIntyre est pour le moins étonnant. Il a été membre du Parti communiste à 20 ans, militant de la Nouvelle Gauche à 30 (comme les futurs philosophes communautariens Charles Taylor et Michael Walzer5), puis vaguement trotskiste. Au plan religieux, de confession presbytérienne, il devient anglican, perd la foi vers 1960 avant de se convertir au catholicisme en 1983. Sa pensée a été particulièrement marquée par le jeune Marx, Karl Barth, Ludwig Wittgenstein, Aristote et saint Thomas. 
Au sujet de son évolution à la fin des années 80, MacIntyre déclare : « je me suis aperçu que mes convictions philosophiques étaient devenues celles d’un aristotélicien thomiste, chose qui m’a au départ surpris ».6 Depuis il déclare développer une « approche thomiste augustinienne de la philosophie morale ». 

Contre la modernité libérale

Il faut savoir repérer les éléments de continuité dans cet itinéraire brouillé. Émile Perreau-Saussine remarque : 
« Comme marxiste, barthien, wittgensteinien, aristotélicien, thomiste, MacIntyre place au cœur de sa réflexion ce que le libéralisme tient aux marges de la politique : l’âme, la communauté et la vérité. Une constante se dégage ainsi, sous le chaos apparent. La critique du libéralisme est à la fois la basse continue et la cause finale de son œuvre. » 
Pour être plus précis, le libéralisme équivaut dans la pensée de MacIntyre à la conception politique moderne qui fonde le système actuel et les différents partis qui y participent, du conservatisme à la social-démocratie. L’opposition entre individualisme et collectivisme, défense de la liberté individuelle et défense de la régulation bureaucratique des liens est fondamentalement factice :
« L’essentiel est en fait ce sur quoi les parties en présence s’accordent : il n’existe que deux modes de vie sociales possibles, l’une où les choix libres et arbitraires des individus sont souverains, l’autre où la bureaucratie est souveraine, précisément pour limiter les choix libres et arbitraires des individus. Tant donné ce profond consensus culturel, il n’est pas étonnant que la politique des sociétés modernes oscille entre une liberté qui n’est qu’une absence de régulation du comportement individuel et des formes de contrôle collectiviste ne visant qu’à limiter l’anarchie des intérêts privés. »
Ni individualisme ni étatisme, ni libéralisme ni communisme. Le marxisme, que MacIntyre a étudié avec bienveillance, n’échappe pas à cette convergence : 
« comme l’individualisme libéral, le marxisme incarne l’ethos du monde spécifiquement moderne et modernisateur, et de là viennent ses défaillances morales ; cet ethos doit être en grande partie abandonné si nous voulons trouver une base rationnellement et moralement défendable pour juger et agir et pour évaluer divers schémas moraux hétérogènes qui rivalisent pour obtenir notre allégeance. »

Retrouver la morale

Après la vertu s’ouvre sur le constat de la confusion morale : nous disposons d’un « simulacre de morale » dont nous avons perdu la compréhension. Notre société est compartimentée et notre éthique fragmentée : chaque domaine d’activité a ses propres normes, son propre langage et son style spécifique. Nous ne pouvons plus parvenir à un accord : « je n’affirme pas seulement que la morale n’est plus ce qu’elle était, mais aussi et surtout que ce qui était la morale a largement disparu ». Il énonce ainsi sa thèse :
« les pratiques et discours moraux modernes ne peuvent être compris que comme des survivances fragmentaires d’une époque antérieure, et les problèmes qui en résultent pour les théoriciens modernes de la morale resteront insolubles tant que cela n’aura pas été bien compris. »
Pour Aristote, l’éthique est la science qui doit permettre de passer de « l’homme tel qu’il est » à « l’homme tel qu’il pourrait être s’il réalisait sa nature essentielle ». Pas de morale sans telos, sans finalité humaine. Or cette conception a volé en éclat, surtout au siècle des Lumières. Le projet de MacIntyre est de retrouver une conception de la morale par-delà le relativisme et le subjectivisme, sans pour autant retomber dans l'universalisme abstrait de type kantien justement critiqué par Nietzsche. 
MacIntyre refuse le positivisme dominant qui sépare les faits des valeurs, la science de la morale, nos actions de nos raisons d’agir. Dans une de ses amusantes formules dont il a le secret, MacIntyre déclare contre les positivistes : « les faits, comme les télescopes et les perruques pour messieurs, sont une invention du XVIIe siècle ». Les raisons d’agir ne sont plus, dans la modernité scientiste, que des « valeurs » - subjectives – ou des émotions déguisées distinctes des causes réelles (émotivisme). Dès les années cinquante, MacIntyre a entrepris de réhabiliter le caractère rationnel de l’intention. S’inspirant de Wittgenstein et de sa disciple Elizabeth Anscombe (convertie au catholicisme), il y parvient avec une conception narrative de l’existence. Pour cela, il utilise deux concepts : celui de pratique (practice) et celui de tradition de pensée. 
Nos vies sont des histoires et des récits : « l’homme est par essence un animal conteur d’histoires ». Pour MacIntyre, 
« le caractère de l'action même est historique. C'est parce que nous vivons des récits dans notre vie et parce que nous comprenons notre propre vie en fonction de ces récits que la forme du récit est appropriée pour comprendre les actions d'autrui. Les histoires sont vécues avant d'être racontées, sauf dans le cas de la fiction. » 
Les intentions s’inscrivent dans un contexte et des pratiques socialement instituées : l’intention de jouer aux échecs présuppose un pratique du jeu d’échecs. Cette éthique est une éthique des vertus. « Une vertu est une qualité humaine acquise dont la possession et l’exercice tendent à permettre l’accomplissement des biens internes aux pratiques et dont le manque rend impossible cet accomplissement. »16 L’excellence du joueur d’échec s’acquiert dans la pratique du jeu d’échecs. Le bien est interne à une pratique et ne peut être poursuivi en dehors d’elle.
Ce que MacIntyre veut dire, c’est que l’action de l’homme s’insère toujours dans des pratiques sociales. Le concept d’enchâssement (embodiement) est au cœur cette pensée narrative : 
« l'histoire de ma vie est toujours enchâssée dans l'histoire de ces communautés dont je tire mon identité. Je suis né avec un passé; vouloir me couper de ce passé, sur le mode individualiste, c'est déformer mes relations présentes. La possession d'une identité historique et la possession d'une identité sociale coïncident ».17
L'homme moral est enraciné, inséré, intégré dans une communauté et une tradition. 
« Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, prémodernes, c’est par son appartenance à divers groupes sociaux que l’individu s’identifie et est identifié par les autres. Je suis frère, cousin et petit-fils, membre de cette maisonnée, de ce village, de cette tribu. Ces caractéristiques ne sont pas accidentelles, on ne peut les ôter pour révéler le vrai « moi ». Elles font partie de ma substance, elles définissent, au moins en partie et parfois entièrement, mes obligations et mes devoirs. »
C’est en remplissant ses devoirs d’état, en tenant un ensemble de rôles, que l'homme s’épanouit. Il ne peut s’abstraire de son environnement et de son histoire et élaborer sa propre morale autonome et créer ses propres valeurs. C’est l’illusion des Lumières pour lesquelles l’individu doit se libérer des « préjugés » et des « superstitions » de son milieu pour atteindre l’universel. 
A l’appartenance à des communautés comme la famille, la tribu ou la ville s’ajoute l’insertion dans une histoire :
« Ce que je suis est donc largement ce dont j’hérite, un passé spécifique plus ou moins présent dans mon présent. Je me découvre comme appartenant à une histoire, c’est-à-dire, que cela me plaise ou non, que je l’admette ou non, l’un des porteurs d’une tradition. »
La raison individuelle s’inscrit donc dans une tradition propre à la communauté d’appartenance. Cette position a été parfois été accusée de relativisme. C’est peut-être la pire injure que l’on puisse faire à MacIntyre, qui n’a jamais cessé de combattre le relativisme. Reconnaître l’existence de « versions rivales de l’enquête morale » n’implique ni la négation de l’unité de l’humanité, ni l’incommunicabilité entre les cultures : « nous sommes des animaux rationnels qui transcendent les cultures ». Il y a bien une nature humaine, mais celle-ci ne s’épanouit que dans la vie sociale ; il y a bien une loi naturelle, mais elle ne s’exprime qu’à travers des contextes particuliers, des traditions morales et politiques, et ne se réduit pas au catalogue des droits de l’homme. 
« Une morale qui ne serait la morale d’aucune société particulière n’existe pas. Il y eut « la morale d’Athènes au IVe siècle », « les morales de l’Europe occidentale au XIIIe siècle », il en existe de nombreuses autres, mais où vit-on jamais la morale en soi ? »
MacIntyre critique les droits de l’homme, droits subjectifs universels. Il note l’absence avant 1400 environ dans les diverses langues de l’expression pouvant être traduite par l’expression « un droit ». Et il a cette affirmation brutale : « Ne nous égarons pas, la vérité est simple : ces droits n’existent pas, et croire en eux, c’est croire aux sorcières et aux licornes. » Ce sont des fictions, créées comme substituts aux concepts de la morale traditionnelle, formant un couple avec la notion d’utilité.

L’éthique dans la politique

On retrouve ici la perspective platonicienne, aristotélicienne et thomiste classique : l’homme a un désir rationnel ou naturel de vivre en société. Animal social, il a besoin des autres pour vivre. Cette philosophie morale est ainsi directement politique. Par son exaltation de la raison individuelle autonome, l’individualisme libéral détruit non seulement le bien commun mais la condition même de l’action morale. L'État libéral ne survit que grâce à la persistance de traditions non-libérales (comme le patriotisme), qu’il mine pourtant progressivement. Nous vivons après la vertu. 
Au reste, on ne peut séparer la morale (individuelle) de la politique. MacIntyre réhabilite la grande leçon d’Aristote sur l’éthique comme partie de la politique : l’homme ne peut rechercher le bien qu’à l’intérieur d’une communauté politique. La loi naturelle n’est connue et n’a de portée que lorsqu’elle est traduite en termes positifs, en quelque sorte incarnée à l’intérieur d’une « communauté de pratique ».
Ni l'État, ni la législation ne sont neutres. Or l’une des caractéristiques de la vie politique moderne est qu’elle exclut tout débat philosophique sur les principes fondateurs. Philosophie et politique sont devenus deux domaines spécialisés. Recherche intellectuelle et débat politique sont aujourd’hui antinomiques. Les professionnels de la politique excluent tout confrontation avec des questions fondamentales (par exemple la valeur d’un mode de vie) risquant de remettre en cause le fonctionnement de systèmes oligarchiques sous apparence de démocraties. MacIntyre remarque : 
« les débats contemporains au sein des systèmes politiques modernes opposent presque exclusivement des libéraux conservateurs, des libéraux centristes et des libéraux de gauche. Cela ne laisse que peu de place pour la critique du système lui-même, c’est-à-dire pour la remise en question du libéralisme. »
Ce consensus est un consensus qui exclut la recherche du bien commun. La pluralité des intérêts, la compétition entre groupes rivaux, l’absence d’un niveau suffisant de culture partagée sont telles que toute réflexion sur les finalités et les limites du politique est désormais impossible.

Communautarisme ?

MacIntyre est hostile à l'État-nation qui s’est construit en détruisant les corps intermédiaires, les traditions, les hiérarchies sociales. Dans une formule célèbre il s’est exclamé : « Mourir pour l'État moderne, c’est renoncer à sa vie pour un opérateur de téléphonie. » Il repousse pourtant la critique anarchiste de l'État : 
« Rien dans mon raisonnement ne suggère ni n’implique qu’il faille rejeter certaines formes de gouvernement ; je prétends seulement que l'État moderne n’est pas une forme nécessaire ou légitime. La tradition des vertus est en désaccord avec certains éléments centraux de l’ordre économique moderne, particulièrement son individualisme, son désir d’acquisition et la primauté qu’il accorde aux valeurs marchandes. On voit maintenant qu’elle implique aussi un rejet de l’ordre politique moderne. Cela ne supprime nullement de nombreuses tâches qui ne peuvent être accomplies que par le gouvernement : il faut faire respecter la loi, autant que cela est possible dans un État moderne, il faut lutter contre l'injustice et la souffrance injustifiée, il faut être généreux et défendre la liberté, par des moyens qui ne sont souvent accessibles que par les institutions gouvernementales. Mais chacune de ces tâches, de ces responsabilités, doit être évaluée selon ses propres mérites. La politique systématique moderne, qu'elle soit libérale, conservatrice, radicale ou socialiste, doit être rejetée d'un point de vue qui fait réellement allégeance à la tradition des vertus, car la politique moderne elle-même exprime sous ses formes institutionnelles un rejet systématique de cette tradition. »
Face à la dissolution du lien social, la solution devrait être cherchée du côté des communautés locales (famille, paroisse, université, association…) agressées tant par l’individualisme de marché que par l'État-Providence. La véritable politique émerge dans des communautés locales car celles-ci sont les plus favorables au développement d’un savoir partagé et à la découverte d’un bien commun. C’est aussi à l’intérieur de sociétés de petite taille qu’une participation délibérative est possible, que les citoyens peuvent poser leurs questions aux détenteurs de la fonction politique, avoir et parvenir à une opinion commune. 
Pourtant MacIntyre n’est pas communautariste au sens français d’un terme d’ailleurs fort polysémique. Il voit plutôt dans le communautarisme une forme d’individualisme qui commet l’erreur de s’accommoder de la politique moderne. C’est encore l’individu souverain qui choisit librement son identité (homosexuelle, par exemple), ce qui n’a rien à voir avec l'appartenance à une communauté stable (une province, par exemple) et l’enracinement dans une tradition morale. Le communautarisme et le multiculturalisme sont des relativismes qui trouvent leur place à l’intérieur de certaines versions de la théorie libérale. Dans la pratique, l'État libéral jongle en permanence avec des intérêts catégoriels, et les professionnels de cette politique avec des promesses (souvent non tenues). Les valeurs communautariennes coexistent ainsi plus ou moins bien avec les valeurs libérales :
« la conception communautarienne du bien commun n’est pas du tout l’idée d’une communauté d’apprentissage politique et de participation à la recherche grâce à laquelle les individus découvrent leur bien individuel et commun. Dans toutes les prises de position des protagonistes du communautarisme dont j’ai eu connaissance, la nature précise du point de vue communautaire spécifique concernant rapport entre communauté, bien commun et biens individuels, reste floue. Mais peut-être ce flou est-il la condition pour que les communautariens puissent se conformer, comme ils l’ont fait nettement dans certains cas, à la réalité de la politique contemporaine. »

Une théologie politique ?

A la fin d’Après la vertu, on lit cette ouverture qui alliait lucidité et espérance :
« Un tournant capital dans la chute de Rome est le moment où les hommes de bonne volonté cessèrent d'étayer l'imperium et d’identifier la continuation de la civilité et de la communauté morale avec le maintien de cet imperium. Sans en être toujours conscients, ils se consacrèrent dès lors à la construction de nouvelles formes de communauté où la vie morale pouvait être soutenue et ainsi permettre à la morale et à la civilité de survivre à la barbarie à venir. Si mon exposé de notre condition morale est correct, il faut conclure que nous sommes, nous aussi, parvenus à ce tournant. Nous devons nous consacrer à la construction de formes locales de communauté où la civilité et la vie intellectuelle et morale pourront être soutenues à travers les ténèbres qui nous entourent déjà. Si la tradition des vertus a pu survivre aux horreurs des ténèbres passées, tout espoir n'est pas perdu. Cette fois, pourtant, les barbares ne nous menacent pas aux frontières; ils nous gouvernent déjà depuis quelque temps. C'est notre inconscience de ce fait qui explique en partie notre situation. Nous n'attendons pas Godot, mais un nouveau (et sans doute fort différent) saint Benoît. »
Cette attente n’a en tout cas pas été vaine pour MacIntyre qui, peu après, entrait dans la pleine communion de l'Église catholique. Toutefois cette conversion ne signifie pas qu’il ait été auparavant indifférent aux réalités théologiques, même si son discours est avant tout philosophique. 
Dès 1953, il dénonçait le péché originel de la modernité séculière : 
« La division de la vie humaine entre le sacré et le profane (secular) vient naturellement à l'esprit occidental. C'est une division qui porte les marques d'une origine chrétienne, en même temps qu'elle témoigne de la mort d'une culture proprement religieuse. Lorsque le sacré et le profane sont séparés, alors la religion n'est plus qu'un compartiment de l'existence, une activité parmi d'autres. C'est ce qui est arrivé à la religion bourgeoise. Du lundi au vendredi, l'on gagne sa vie. Le samedi et le dimanche, on se repose et, si on le désire, on accomplit ses obligations religieuses. La politique, l'industrie, l'art - tel est le genre de liste auquel il convient d'ajouter la religion. Mais la religion comme activité divorcée des autres activités est sans objet. Si la religion n'est qu'une partie de la vie, alors la religion est devenue une option. Seule une religion qui est une manière de vivre dans toutes les sphères de l'existence mérite ou peut espérer survivre. Car la tâche de la religion est de nous aider à voir le profane comme sacré, le monde comme donné par Dieu. (...) Pareillement, si notre religion est fondamentalement sans rapport avec le politique, alors nous comprenons le politique comme un royaume en dehors du règne de Dieu. Séparer le sacré et le profane, c'est ne reconnaître l'action de Dieu que dans les limites les plus étroites. Une religion qui reconnaît une telle séparation, comme le fait la nôtre, est sur le point de mourir. »
Ce procès de la sécularisation n’est pas sans évoquer celui de Benoît XVI.
MacIntyre, par un christianisme d’abord marxiste (dans les années cinquante) et maintenant thomiste, n’a jamais été étranger aux questions religieuses. Au terme d’une vie d’étude et de réflexion, de quête sincère et exigeante de la vérité, il est intellectuellement persuadé de la supériorité de la tradition morale gréco-chrétienne (Aristote-Platon-saint Augustin-saint Thomas), qui se révèle davantage capable de résoudre les problèmes rationnels que les autres traditions, et parce qu’elle montre mieux leurs limites. Il a vu dans l’encyclique Veritatis Splendor (1993) de Jean Paul II une juste articulation de concepts qu’il n’a jamais cessé de travailler.
La notion catholique de Tradition s’avère parfaitement compatible avec le concept MacIntyrien de tradition. L’insistance sur les récits formateurs a été développée par les théologiens (en particulier son ancien collègue Stanley Hauerwas) qui ont pu aisément montrer le rôle fondateur des grands récits bibliques et évangéliques dans la formation du caractère chrétien. Et c’est dans l'Église, communauté des croyants où l’universel se vit dans le local (la paroisse), par des pratiques et traditions spécifiques, que grandissent les chrétiens et qu’ils exercent leur raison. Au nom d’un aristotélisme parfois qualifié de révolutionnaire et d’un thomisme subversif, MacIntyre a ainsi joué un rôle clé dans l’élaboration de la nouvelle théopolitique chrétienne.

Denis Sureau
 

 

 

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