Mai 68 ou l'échec d'une contestation qui aurait pu être chrétienne
Dans le flot des publications célébrant le cinquantenaire des événements de Mai 68, se détache l'essai du journaliste catholique Gérard Leclerc, Sous les pavés, l'Esprit (France-Empire / Salvator, 148 p., 14 €).
A 27 ans, immergé dans l'effervescence idéologico-politique parisienne, Gérard Leclerc a été marqué à sa façon par le phénomène de Mai 68. L'éditorialiste de France catholique et chroniqueur de Radio Notre-Dame propose un décryptage intéressant qui ne plaira pas à tous.
La révolte du « peuple adolescent » (selon l'expression de Paul Yonnet) fut d'abord une tentative de révolution politique (ratée) avant de se transformer en révolution culturelle (réussie). Le renversement du capitalisme non seulement a échoué, mais la dissolution des moeurs théorisée par Marcuse et Reich a eu pour effet de renforcer l'économie libérale. La libération du désir accompagne le développement d'une société de consommation hier honnie par les étudiants du Quartier latin, qu'ils aient été gauchistes, anarchistes ou situationnistes. Les combattants des barricades sont devenus les cadres dirigeants efficaces des multinationales jadis exécrées ; en témoigne l'évolution du journal Libération, né à l'extrême-gauche à ses débuts, et aujourd'hui défenseur d'un système qui l'entretient, ou celle de Daniel Cohn-Bendit.
Mai 68 fut comme la fin des Trente Glorieuses, et le « basculement anthropologique » était déjà amorcé au milieu des années soixante (les sixties), incluant les débordements sexuels et l'effondrement de la pratique religieuse (cf. Guillaume Cuchet, Comment le monde a cessé d'être chrétien). Ce que regrette Gérard Leclerc en évoquant la figure étonnante de Maurice Clavel, gauchiste converti qui avait perçu l'ampleur de la crise. Elle aurait pu être une remise en cause radicale de la modernité issue des Lumières si elle avait été une insurrection spirituelle. La déconstruction de l'humanisme rationaliste engagée par le philosophe Michel Foucault aurait pu y contribuer – mais elle a finalement accouché d'un nihilisme absolu. Clavel n'a pas convaincu alors ses camarades ex-maoïstes, même si certains se sont convertis depuis. Gérard Leclerc s'inscrit dans ce sillage : « Mai 68 correspond à l'effondrement de l'héritage, mais il signifiait aussi la possibilité d'un sursaut moral au milieu des convulsions. Il pouvait être la perception d'un sauvetage possible dans l'abîme. » D'où son interrogation finale : « De notre monde en gestation, l'Esprit pourra-t-il émerger pour nous rendre le goût et la saveur d'exister ? »