Une politique antipolitique
Un chrétien peut-il ne pas faire de politique ? Un débat s'est engagé autour du « pari bénédictin » de Rod Dreher.
Le livre du journaliste américain Rod Dreher Comment être chrétien dans un monde qui ne l'est plus. Le pari bénédictin est en train de remporter en France un succès équivalant à celui qu'il a eu aux États-Unis. Le « pari bénédictin » (Benedict Option) qu'il défend est parfois perçu comme un « repli communautariste », ce que Dreher, lors de son séjour en France début février, a pourtant démenti. Un autre reproche lui a été adressé, celui d'oublier le rôle médiateur du politique dans la poursuite du bien commun. Or il consacre un chapitre entier de son essai, intitulé Une nouvelle forme de politique chrétienne, à proposer « une politique antipolitique ». Que signifie cet oxymore ?
Dreher prend acte de l'échec des chrétiens actifs dans le jeu politique américain. Les combats des conservateurs pour la vie, la famille et la liberté religieuse ont été globalement vains. Pourtant ils « ne peuvent pas déserter l'espace public », et ils peuvent continuer à y être présents en privilégiant l'engagement local, visant des objectifs atteignables, formant sérieusement les jeunes, constituant des alliances entre chrétiens et non-chrétiens... Mais au-delà de ces modes d'action classiques, il propose de s'inspirer de la « politique antipolitique » développée par le dissident tchèque Václav Havel (cf. Le Pouvoir des sans-pouvoir, 1978). Pour « vivre en vérité », écrivait le futur président de la Tchéquie postcommuniste, commençons par agir autrement que ceux qui, « vivant dans le mensonge », collaborent au système. Comment faire ? En créant et soutenant des « structures parallèles » : le concept de « polis parallèle » a été pensé par un autre dissident, Václav Benda. Cette cité alternative n'est pas une forteresse retranchée derrière ses murs mais un ensemble de structures de vertu poreuses, tels que des cours clandestins dispensés par un professeur chassé de l'université. Il s'agit de rétablir « des pratiques et institutions communes à même d'inverser les processus d'isolement et de fragmentation de la société contemporaine ». Cessons, dit Dreher, de croire que « c'est la politique qui résoudra les problèmes religieux et culturels ». Et de conclure : « nous sommes devenus une minorité. Soyons donc une minorité créative. Proposons des solutions vivantes, chaleureuses et joyeuses à ce monde mourant... Peut-être faut-il justement que l’Église perde son pouvoir politique pour sauver son âme. »