Le tabou de la dissuasion
La doctrine de la dissuasion nucléaire française est largement partagée à gauche comme à droite. Sans réel débat.
À Istres le 19 février dernier, François Hollande a déclaré que « le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé », et qu’il ne fallait pas « baisser la garde », confirmant une orientation prise par la France il y a plus d’un demi-siècle. Ces propos n’ont guère suscité de réactions, même à gauche (Michel Rocard et l’ancien ministre de la Défense Paul Quilès exceptés), ni même chez les chrétiens. La classe politique Front national inclus adhère globalement à une orientation stratégique qui ne va pourtant pas de soi. Va-t-on débattre sérieusement de la dissuasion nucléaire ? s’interroge Hervé de Truchis dans La Croix (29/4). Le chercheur souligne que les changements géopolitiques (« Pouvons-nous croire sérieusement que la Russie pourrait nous attaquer ? ») et la nature des conflits actuels rendent l’arme atomique plus inadaptée que jamais : « ce n’est pas de bombes inhumaines que nous avons besoin mais de renseignements, de drones, de défenses contre les cyberattaques. » Selon certains stratèges, la dissuasion n’a eu pour effet que de prolonger la guerre froide.
Plus profondément, d’un point de vue éthique, la dissuasion soulève de graves objections : est-il moral de menacer un peuple d’extermination sous prétexte de maintenir la paix ? Elle a fait l’objet dans les années 80 de multiples réflexions et les déclarations de conférences épiscopales – notamment américaine – ont eu un écho certain.Dans un contexte international tendu, Jean Paul II a semblé un moment tolérer la dissuasion comme un moindre mal provisoire, une sorte d’éthique de détresse.
Depuis la fin de l’URSS, Rome a ajusté son jugement pour défendre un désarmement nucléaire total. Le 1er janvier 2006, Benoît XVI déclarait : « Que dire ensuite des gouvernements qui comptent sur les armes nucléaires pour garantir la sécurité de leurs pays ? Avec d’innombrables personnes de bonne volonté, on peut affirmer que cette perspective, hormis le fait qu’elle est funeste, est tout à fait fallacieuse. En effet, dans une guerre nucléaire il n’y aurait pas des vainqueurs, mais seulement des victimes. La vérité de la paix demande que tous — aussi bien les gouvernements qui, de manière déclarée ou occulte, possèdent des armes nucléaires depuis longtemps, que ceux qui entendent se les procurer — changent conjointement de cap par des choix clairs et fermes, s’orientant vers un désarmement nucléaire progressif et coordonné. » Une orientation confirmée depuis sans hésitation par le pape François.
Il est temps de mettre fin à ce qu'il faut bien appeler une "structure de péché".