Eglise et immigration : questions de méthode

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Eglise et immigration - le grand malaise (Cerf) de Laurent Dandrieu est utile par le débat qu’il provoque sur l’attitude de l’Église face aux migrations. Il développe une thèse, illustrée par de nombreuses citations, inspirée par une colère compréhensible. C’est un travail de journaliste soucieux de ne pas esquiver des questions qui fâchent. Ses analyses visent parfois juste, notamment sa critique de l’islamophilie qu’on rencontre chez certains chrétiens, car en fait c'est moins l’immigration qui inquiète (celle des Latinos contribue à la catholicisation des États-Unis), que l’islamisation, avec la constitution de zones de non-droit autour des villes européennes.

Le livre pose des questions, et il appelle des réponses d’ordre théologique, qui relèvent plus précisément de la théologie politique. Sans rentrer dans une analyse de la thèse elle-même, je voudrais juste attirer l’attention sur quelques difficultés de méthode.

1) Laurent Dandrieu ne se contente pas de critiquer des paroles maladroites voire choquantes du pape François (notamment dans son « magistère aéronautique » !), il remet en cause l’enseignement de l’Église sur l’accueil des migrants, de tous les papes sans exception depuis le vénérable Pie XII, incluant saint Jean XXIII, saint Jean Paul II et Benoît XVI. Depuis près de 70 ans, l’Église aurait erré dans son « idolâtrie de l’accueil ».

La nature et la continuité d’un tel enseignement le font rentrer dans ce que l’on appelle le magistère authentique (au minimum) voire ordinaire. Or un tel enseignement, même en n’étant pas infaillible, mérite non seulement le respect mais « l’assentiment religieux » de l’esprit des fidèles. La constitution Lumen Gentium précise au numéro 25 :

« Cet assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence est dû, à un titre singulier, au Souverain Pontife en son magistère authentique, même lorsqu’il ne parle pas ex cathedra, ce qui implique la reconnaissance respectueuse de son suprême magistère, et l’adhésion sincère à ses affirmations, en conformité à ce qu’il manifeste de sa pensée et de sa volonté et que l’on peut déduire en particulier du caractère des documents, ou de l’insistance à proposer une certaine doctrine, ou de la manière même de s’exprimer. »

Ce ne sont ni le caractère des documents (constitutions apostoliques, encycliques…) ni l’insistance (soulignée par Laurent Dandrieu) qui manquent en l’occurrence.

 

2) Laurent Dandrieu semble gêné par cette discipline ecclésiale et, pour justifier sa critique, s’efforce de sortir l’enseignement de l’Église sur les migrants du champ concerné. L’enseignement de l’Église concerne la foi et les mœurs, dit-il, mais pas la politique. C’est parce que l’Église intervient en politique que le fidèle a le droit voire le devoir de remettre en cause ses prises de position. Or il n’existe pas de réalité appelée « politique » qui soit étrangère à l’action de l’homme, donc à la morale. La politique fait partie des mœurs ; elle est cette partie de la morale qui concerne le bien commun, et l’Église est entièrement dans son rôle en rappelant les règles fondamentales de la politique. C’est à ce titre qu’elle condamne, par exemple, non seulement l’acte abortif mais la légalisation de l’avortement. Cela ne signifie pas que les clercs doivent habituellement se substituer aux responsables politiques dans leurs choix prudentiels, mais qu’il leur appartient de rappeler les implications politiques de l’Évangile. Ce qu’on appelle la doctrine sociale de l’Église, c’est la doctrine politique de l’Église. Et c’est une politique proprement évangélique.

 

3) La démarche qui devrait animer le catholique devrait être plutôt de partir de l’enseignement de l’Église, d’essayer de le comprendre à partir de ressources proprement chrétiennes et non de conceptions étrangères à la Tradition chrétienne telles que des notions typiquement modernes (la souveraineté, l’État-nation…) voire postmodernes (le concept flou et non défini d'identité, le communautarisme qu'on critique à toutes les sauces), notions qui étaient étrangères à la grande Chrétienté médiévale. On verrait ainsi mieux ainsi la cohérence d’une pensée qui, comme celle de saint Jean Paul II, s’efforce de concilier l’enracinement et l’universalité, le patriotisme et la catholicité. Il est souhaitable que l’essai de Laurent Dandrieu en suscite d’autres, cette fois-ci proprement théologiques.

Denis Sureau

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