L'autre visage de l'économie dite sociale
Si nobles soient les buts des organismes de l'économie sociale et solidaire, leur fonctionnement est parfois aussi contestable que celui des autres grandes entreprises.
Le concept d'économie sociale et solidaire (ESS) désigne un ensemble d'entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations, ou fondations, dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d'utilité sociale. Leur fonctionnement doit être démocratique et participatif et leur bénéfice réinvesti. Elles bénéficient d'un cadre juridique renforcé par la loi Hamon du 31 juillet 2014. Elles comptent 2,4 millions de salariés, soit 14% de l’emploi salarié privé. Les entreprises de l'ESS ont créé 71 100 emplois entre 2010 et 2018.
Tel est l'état des lieux officiel. Les pratiques ne sont cependant pas toujours cohérentes avec l'idéal1. La course à la croissance n'épargne pas le secteur : le nombre de mutuelles est passé de 1200 en 2006 à 400 aujourd'hui. La concurrence s'intensifie, entraînant une pression croissante sur le personnel. Le fonctionnement n'est souvent pas plus démocratique qu'ailleurs : les représentants des salariés ont peu de poids dans les conseils d'administration, dont la composition repose surtout sur la cooptation (et l'on comprend mieux l'influence ici importante de réseaux tels que les loges maçonniques). Les adhérents des mutuelles votent pour une liste unique de délégués au conseil qui, dans une assemblée générale clairsemée, élisent un conseil d'administration qui élit un bureau qui élit un président. Fleuron de l'ESS avec 18 000 salariés, le groupe SOS est même totalement verrouillé.
Comme l'écrit Pascale Dominique Russo, « les adhérents sont cooptés par le président et élisent un conseil d'administration de trente membres, parrainant eux-mêmes les adhérents par lesquels ils ont été élus »². Selon cette journaliste, Emmaüs souffre également de pratiques de management douteuses. Car c'est le second aspect, non moins inquiétant, de certaines structures de l'ESS : une gestion du personnel analogue à celle des grandes entreprises recherchant la rentabilité et la flexibilité jusqu'à l'épuisement professionnel de leurs salariés (ce serait le cas à la Macif). De plus, sous prétexte que le secteur est « social » ou « militant », les rémunérations y sont souvent beaucoup plus faibles ; à France terre d'asile, elles seraient en deçà de la convention collective et le turn-over atteint 20% en Île-de-France. Si heureusement toutes les organisations de l'ESS ne présentent les mêmes défauts, des correctifs sérieux s'imposent.
1. Cf. Pascale Dominique Russo, Souffrance en milieu engagé. Éditions du Faubourg, 2020.
2.« Malaise dans l'économie sociale et solidaire », Études, n°4274, sept. 2020. Nous tirons principalement nos informations de cet article qui résume les résultats de son enquête.