La nouvelle question sociale

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Longtemps méprisé par l'appareil idéologique d’État (Université, institutions culturelles, grands médias...), le géographe Christophe Guilluy sort de l'ombre. Cela fait pourtant près de vingt ans qu'il scrute ans les fractures sociales  opposant la « France périphérique » – celle des Gilets jaunes – à la « France d'en haut ».

Le « monde d'en haut », dont Emmanuel Macron est comme l'expression chimiquement pure, est celui des milieux de pouvoir, des bourgeois urbains privilégiés défenseurs d'une « société ouverte et multiculturelle », défenseurs d'une mondialisation libérale qui, après avoir ruiné paysans et ouvriers, campagnes et zones industrielles, atteint depuis les années 1980 la classe moyenne, dans les zones périurbaines dont les petits commerces disparaissent, tués par la grande distribution. On assiste, selon Christophe Guilluy, à une mise à l'écart de la majorité de la population (environ 60%), celle qui vit loin des grandes métropoles, et qui ne profite pas de la création de richesses. Cette France « périphérique », qui se lève tôt et doit prendre sa vieille auto diesel pour aller travailler loin, endettée, paupérisée, ne bénéficie plus de l'ascension sociale (l'accès à l'enseignement supérieur devenant trop coûteux), à la différence de la classe moyenne des sixties. Elle n'est plus représentée par les grands partis ou les syndicats, ne vote plus ou vote « populiste ». Elle refuse l'insécurité sociale, demande du travail (et non un revenu universel), et des protections.

Il faut aller au peuple, affirme Christophe Guilly, regarder ses besoins réels, au-delà des débats idéologiques stériles. Etablir le diagnostic des « gens d'en bas ». Constater, par exemple, qu'existe un consensus sur la régulation des flux migratoires, que les « gens d'en haut » assimilent à un racisme méprisable. Dans un intéressant entretien publié dans la revue Etudes (décembre 2018), le géographe déclare : « Quand j'ai commencé mon métier de géographe, j'étais très proche des communistes, je vivais dans un confort intellectuel et moral parfait; mais, par exemple, je n'abordais jamais la question culturelle et identitaire du rapport à l'autre que je trouvais trop sensible. Sauf que, quand on travaille dans les milieux populaires, la question de l'immigration et du rapport à l'étranger se pose immédiatement. Vous ne pouvez donc pas faire l'impasse sur cette question. Mais, contrairement à ce que l'on pense, elle ne se résume pas à l'affrontement binaire entre un supposé ''camp du bien'' et un supposé ''camp du mal''. Je dis toujours : ''Raciste le matin, fraternel l'après-midi.'' Nous tous, d'en haut, d'en bas, de gauche, de droite, de n'importe quelle ethnie, cultivons en nous ces ambiguïtés: d'un côté, l'accueil; de l'autre, la volonté de préserver ce que nous sommes, notre capital culturel. Il faut au moins être d'accord avec ces présupposés; après, on peut discuter. » L'inclassable mouvement des Gilets jaunes devrait susciter une transformation des schémas de pensée. Comment les chrétiens pourraient-ils être étrangers à cette démarche ?  

Denis Sureau

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