Dieu est-il conservateur ?
En mai 68, le cardinal François Marty, archevêque de Paris, avait déclaré : « Dieu n'est pas conservateur ». Importé d'Angleterre, le conservatisme revient à la mode. Mais est-il chrétien ?
Jusqu'alors chargé négativement en France, le mot conservatisme fait irruption dans le vocabulaire de la droite française avec une connotation positive. Les essais se multiplient : Conservateurs, soyez fiers ! (Guillaume Perrault, Plon), De l'urgence d'être conservateur (Roger Scruton, L'Artilleur), Vous avez dit conservateur (Lætitia Strauch-Bonart, Cerf) etc. Dans le contexte de la décomposition des partis, et face au progressisme d'Emmanuel Macron, certains proposent la constitution d'un parti conservateur qui irait du Front national tendance Marion Maréchal Le Pen aux Républicains façon Laurent Wauquiez et aux nostalgiques du gaullisme. La philosophe Chantal Delsol se définit comme libérale-conservatrice. Après George Orwell et Jean-Claude Michéa, les jeunes animateurs de la revue Limite revendiquent un anarchisme conservateur.
Or c'est parce qu'il est radicalement équivoque que le conservatisme se prête à toutes les interprétations. Pour Lætitia Strauch-Bonart, « Le conservateur est un moderne complexe, travaillé par l’ambiguïté de l’héritage des Lumières. Il se plaît à critiquer la modernité de l’intérieur, comme s’il en était la mauvaise conscience. » Souvent cité comme son père fondateur, le philosophe anglais, Edmund Burke (1729-1797) en est l'illustration : s'il critique dès 1790 la Révolution française, c'est à partie du libéralisme. Tout comme Michaël Oakeshott (cf. Du conservatisme, Ed. du Félin), qui définit le conservatisme non comme une doctrine mais comme une disposition à vivre confortablement dans le moment présent, sans nostalgie du passé (en cela, le conservateur n'est pas réactionnaire) ni espoir dans un quelconque progrès : « Le Progrès est une superstition perverse. Il n'y a pas eu de ''progrès'' de la poésie depuis Homère : c'est déjà parfait. Il n'y a pas de progrès de la musique depuis Bach » (Roger Scruton, Limite, n°5).
Le même Scruton, dans le livre déjà cité, précise que sa philosophie conservatrice « ne dépend en aucune façon de la foi chrétienne ». Bien qu'attaché sentimentalement à l'héritage culturel chrétien, il défend l'État-nation séculier qui limite la religion à une affaire privée : « il faut reconnaître la grande vertu du libéralisme qui, depuis sa naissance au temps des Lumières, s'est efforcé d'imprimer en nous la distinction radicale entre les ordres politique et religieux, et le besoin de bâtir l'art de gouverner sans dépendre de la loi de Dieu. » Son conservatisme a des accents pathétiques : comment conserver ce qu'il y a de beau dans la civilisation malgré « la perte de la religion » ? Question douloureuse mais étrangère à l'Espérance.
Denis Sureau