Les chrétiens face à l'abstention
L'hebdomadaire Famille chrétienne a publié (n°1788) un entretien condensé avec Denis Sureau, directeur de Chrétiens dans la cité, dont voici la version intégrale.
Aucun candidat ne semble trouver grâce à vos yeux. N y a t-il pas une gradation entre eux ? Peut-on les
mettre dans le même sac ?
Il est certain que François Hollande, dans son programme, accumule les transgressions (euthanasie, « mariage » homosexuel, adoption par
les couples homos, etc.) ; Nicolas Sarkozy les limite, mais dans son cas, plus qu'au discours opportuniste visant à ramasser des voix, c'est à son bilan qu'il faut se référer, et celui-ci
n’est pas brillant. Prenons les trois principaux « principes non négociables » énoncés par Benoît XVI en 2006. En ce qui concerne la défense de la vie, la loi de bioéthique de 2011 a
aggravé les recherches sur l’embryon ; il y a eu par ailleurs une intensification des campagnes de communication hostiles à la vie, sous la houlette de Roselyne Bachelot. En ce qui concerne
la famille, Nicolas Sarkozy vient de déclarer au magazine Têtu que le Pacs, y compris entre homosexuels, devait donner lieu à une cérémonie en mairie, ajoutant : « Je
n’aime pas l’idée de péché où il y a identité ». Et l'on sait le sort réservé à Christian Vanneste, député courageux, pour avoir tenu un autre discours. En ce qui concerne l’école, rien
n’a été fait contre les méthodes pédagogiques funestes que l’on connaît, et la théorie du gender a été introduite subrepticement dans les programmes scolaires. On pourrait citer bien
d’autres éléments : une politique culturelle contestable avec Frédéric Mitterrand, le gel des prestations familiales, un déficit public sans précédent, des opérations militaires
calamiteuses…
Surtout il y a la remise en cause du repos dominical. C’est à mes yeux plus grave que le mariage homo, qui ne touche qu’un
nombre limité de personnes, alors que le travail le dimanche ébranle toute la société (et déjà plus d'un quart des salariés sont touchés). S’il est un « principe non négociable », c’est
bien celui-là, puisqu'il s'agit du troisième commandement de Dieu.
Sur l’euthanasie, l’an dernier, le gouvernement a tenu bon.
En effet, tout n’est pas négatif dans son
quinquennat. Comme d'ailleurs tout n'est pas négatif dans les propositions de François Hollande. Mais la question est de savoir s'il est moral de voter pour un candidat qui bafoue les
« principes non négociables ». En soi, c'est un mal. Selon la règle – d'un maniement fort délicat – du moindre mal, cette « coopération matérielle » peut être qualifiée
d'« éloignée » et « permise en vertu de raisons proportionnées », comme l'a précisé Rome en réponse aux évêques américains en 2004. Toute la difficulté consiste à vérifier que
ces « raison proportionnées » sont suffisamment consistantes. La réponse ne me semble pas si évidente.
Que pensez-vous de la note des évêques (Éléments de discernement) ?
Ils ont tenu ne pas se limiter à la défense de la vie et ils ont eu raison. Et ils renvoient chacun à ses responsabilités. En ce 50e anniversaire de Vatican II, il faut se souvenir d’un de ses enseignements essentiels : la mission et la responsabilité propre des laïcs.
Un chrétien peut-il s’abstenir de voter?
Oui, dans certaines circonstances, l'abstention peut être un devoir civique, un acte politique recommandable. Cela peut être une forme d’objection de conscience, que le cardinal Barbarin reconnaissait dans Famille Chrétienne en 2007 (FC n°1529). En 2005, l’Église italienne a demandé aux fidèles de s'abstenir dans le cadre d'un référendum sur la fécondation artificielle. Le grand philosophe catholique Alasdair MacIntyre, dont la pensée est au cœur des grands débats moraux contemporains, a justifié en 2004 l'abstention lors des présidentielles américaines en expliquant que lorsqu'on vous met en face de deux candidats politiquement intolérables, il est important de ne choisir aucune d'entre eux. Sinon voter revient « non seulement à voter pour un candidat en particulier, mais c'est également voter pour un système qui nous présente que des alternatives inacceptables. Le moyen de voter contre le système est de ne pas voter. »