Colère de l'Eglise confinée
La suspension de la liberté de culte jusqu’au 2 juin suscite une colère inhabituelle des évêques de France. Mais auront-ils le courage d'affirmer la libertas Ecclesiae contre l'Etat antichrétien ?
Lors de plusieurs rencontres, les évêques avaient clairement fait savoir au Gouvernement qu’ils souhaitaient une reprise de la célébration publique des messes à compter de la date annoncée de début du déconfinement (semaine du 11 mai) et proposé les mesures sanitaires qu’ils pourraient mettre en place. Emmanuel Macron avait évoqué la mi-juin, pour finalement choisir la date du 2 juin (au mieux), après la Pentecôte. Édouard Philippe le 28 avril a annoncé : « Je sais l’impatience des communautés religieuses, mais je crois légitime de demander de ne pas organiser de cérémonies avant cette barrière du 2 juin », en rappelant que les lieux de culte pourront « continuer à rester ouverts » Cette décision a provoqué une réaction assez molle du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France qui « prend acte avec regret de cette date qui est imposée aux catholiques et à toutes les religions de notre pays… nous voyons mal que la pratique ordinaire de la messe favorise la propagation du virus et gène le respect des gestes barrières plus que bien des activités qui reprendront bientôt. » Tout en ajoutant : « Les catholiques ont respecté et respecteront les consignes du Gouvernement. » Mais cette position légaliste ne sera peut-être pas suivie par tous…
En effet, on observe chez certains évêques de colère d’une intensité inaccoutumée.
« On est franchement extrêmement déçu, a déclaré Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris. Là, il y a quelque chose qui ne va pas. Il y a quelque chose qui n’est pas respecté, comme si on était des gamins incapables de mettre en place quelque chose ».
Mgr Matthieu Rougé (Nanterre), ancien « aumônier » des parlementaires (et bon connaisseur des milieux politiques), a déclaré : « Les trois lignes sèches et lapidaires du Premier ministre à propos des cultes sont inacceptables. Il y a un défaut du respect des croyants et de la liberté religieuse qui est incompréhensible… Il y a un tropisme anticatholique qui a pris le dessus chez le Président de la République ».
Même ton chez Mgr Dominique Lebrun (Rouen) : « Je partage l’incompréhension de beaucoup devant la relégation de la liberté de culte à la dernière roue du carrosse de la nation française. »
Pour Mgr Éric Aumonier (Versailles) « le renvoi de toute possibilité de célébration au-delà du 2 juin exclut de fait la liberté de culte du principe de déconfinement progressif mis en avant par le gouvernement. La confiance ne semble pas être accordée aux fidèles et aux prêtres pour faire preuve de la prudence et de la responsabilité qu’ils ont pourtant manifestées jusqu’à présent… Je ne peux que souhaiter que ces décisions gouvernementales restent ouvertes à un vrai dialogue. Je me donne quelques jours pour réfléchir aux mesures à prendre dans les Yvelines et faire face, avec vigueur et créativité, au nouveau contexte ainsi créé. »
Plusieurs ripostes sont évoquées. Mgr Robert Le Gall, évêque de Toulouse, évoque des messes clandestines : « Ma crainte pour l’avenir est simple. Devant le caractère inacceptable de cette attente sacramentelle qui n’en finit pas pour les fidèles, des célébrations clandestines vont se mettre en place ! Le résultat sera pire finalement. Les pouvoirs publics vont essayer de les interdire, mais on passera outre en certains lieux. Il aurait mieux valu autoriser le culte public progressivement et calmement, en nombre limité, comme nous l’avions proposé au gouvernement. Nous n’avons pas été entendus. Cette interdiction prolongée du culte va entamer gravement notre confiance en ceux qui nous dirigent. »
Mgr Bernard Ginoux, évêque de Montauban, évoque un cas de conscience et menace : « Évêques, nous ne pouvons admettre que le Gouvernement nie notre spécificité et la nécessité de la vie spirituelle de nos fidèles. Aucun Gouvernement français ne l’a fait. Je proteste… La liberté de culte n’existe plus sous le prétexte d’un danger d’épidémie. C’est une grave atteinte aux droits humains et elle en annonce d’autres… On ne peut pas priver nos fidèles de la nourriture essentielle qu’est la grâce sacramentelle. Donc nous les nourrirons. »
L’évêque de Bayonne, Mgr Marc Aillet, interprète la décision « aussi abrupte et sans nuances » du Gouvernement comme « un manque de respect envers les croyants. On peut en effet s’interroger sur le bien-fondé d’une telle décision qui ne semble pas cohérente avec la reprise annoncée de l’école, des entreprises, des transports en commun, des commerces, de la vie sociale en bien de ses aspects, comme la vie culturelle (médiathèques, bibliothèques, petits musées)…. Cela pourrait même constituer une atteinte à la liberté socio-civique des cultes, partie essentielle du droit fondamental à la liberté religieuse, garantie par la Constitution française. Nous avons bien conscience que l’exercice de ce droit est encadré dans les justes limites de l’ordre public, et c’est pourquoi les évêques ont adhéré aux restrictions imposées par le confinement. Mais ces limites ne se justifient plus dans les mêmes conditions, dès lors que des secteurs entiers de la vie sociale vont progressivement reprendre leurs droits. On peut donc légitimement espérer la révision d’une telle décision ».
Mgr Guy de Kérimel (Grenoble) propose que « des prêtres puissent avoir la possibilité de célébrer la messe à domicile… Normalement, il n’y a jamais de messe privée, mais chez des personnes en souffrance, cela devrait être possible, en prenant évidemment toutes les précautions nécessaires. »
On notera la suggestion du Père Jean-Baptiste Nadler, prêtre dans le diocèse de Vannes, ajoute : « Ne pourrait-on pas envisager la distribution de la sainte communion en dehors de la célébration de la messe ? »