Si je t'oublie, Jérusalem

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Si je t'oublie, Jérusalem, que ma droite se dessèche (Ps 137,5). Les paroles du Psalmiste sont plus actuelles que jamais. 
La décision irresponsable prise par Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale de l'État d'Israël s'explique par des motifs de basse politique : alors que le président américain est largement contesté dans son pays, il ménage ses soutiens de la droite évangélique et surtout du lobby sioniste. « La reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël satisfait également des supporteurs influents de l'État israélien comme le milliardaire américain d'origine juive Sheldon Adelson, qui a contribué au financement de la campagne électorale de Donald Trump avec un don de 25 millions de dollars (soit environ 21 millions d'euros), et Morton Klein, président de la Zionist Organization of America, la plus ancienne organisation pro-israélienne américaine » (François d'Alançon, La Croix, 7/12/2017)
Un nouvel embrasement de la Terre Sainte ne peut laisser les chrétiens indifférents. Or ce drame ne semble pas émouvoir beaucoup les Occidentaux, qui regardent le nouveau cycle des violences comme une fatalité. Cette attitude s'explique en partie par une méconnaissance des tenants et aboutissements du dossier. Pour comprendre la situation, un rappel historique s'impose. 

Petit rappel historique

A l'origine du conflit, il y a une terre que deux peuples – juif, palestinien – se disputent. Pendant des siècles, leur cohabitation ne pose pas de problèmes majeurs. L'équilibre devient instable lorsque, animés par l'idéologie sioniste puis persécutés en Europe, les Juifs affluent de tous pays. De 60 000 en 1916, ils passent à 500 000 vingt ans plus tard. Le IIIe Reich favorise d'ailleurs l'émigration des Juifs allemands, heureux à la fois de se délester d'un peuple non conforme aux canons de la race aryenne et d'embarrasser les Anglais alors en charge de la Palestine. Après plusieurs années de terrorisme anti-anglais, et sous la pression efficace des groupes juifs internationaux (surtout américains) sachant utiliser le drame de l'holocauste au profit de la cause sioniste, l'Etat d'Israël est proclamé le 14 mai 1948. Les Etats membres de la Ligue arabe déclenchent aussitôt une guerre… qu'ils perdent lamentablement, comme ils perdront les suivantes. 
Les vainqueurs annexent de nouveaux territoires et commencent à chasser les Palestiniens de leurs villages et de leurs villes, à mettre la main sur leurs terres et leurs propriétés. Les groupes terroristes sionistes (Irgoun, Stern… ) n'hésitent pas à exterminer la population de villages entiers, tel celui de Dair Yassin (350 morts, principalement des enfants, des femmes et des vieillards). Objectif : créer un climat de terreur incitant les Arabes à partir. Après leur expulsion, plusieurs centaines de villages (dont des villages chrétiens) sont entièrement rasés (cimetières inclus) afin de propager le mythe d'une Palestine déserte et inexploitée avant l'arrivée des colons juifs.
Rappelons que le mouvement sioniste, fondé par Theodor Herzl en 1896, visait à faire de la Palestine une patrie pour les seuls Juifs. Ben Gourion, premier Premier Ministre d'Israël, déclarait en 1937 que la Palestine n'appartenait pas à ses habitants d'alors, et que ce pays devait résoudre non pas le problème de deux nations, mais d'une seule nation, les Juifs de partout. 
Au total, 900 000 Palestiniens sont expulsés. Les uns se replient sur des lambeaux de territoires (bande de Gaza, Jérusalem-Est et Cisjordanie), dans des camps sordides sous contrôle militaire et administration israélienne. Les autres choisissent l'exil. Pour ceux qui ne se résignent pas, reste la solution des faibles : le terrorisme. Les attentats se succèdent, créant une véritable psychose sécuritaire chez nombre d'Israéliens. La peur d'être "rejeté à la mer" explique la brutalité de leurs réactions. Cerné par des pays arabes hostiles, agressé par les Palestiniens, Israël se sent menacé en permanence.
Fondée en 1964 et bientôt présidée par Yasser Arafat, l'Organisation pour la libération de la Palestine structure la résistance et mène une action politique et diplomatique. L'OLP est aussitôt reconnue par l'Onu. Après une série de péripéties, d'événements et de drames, un accord historique est signé en 1993, après la reconnaissance réciproque entre Israël et l'OLP. Les dirigeants palestiniens acceptent enfin l'existence de l'Etat d'Israël. Le premier ministre israélien, Itzhak Rabin (qui sera assassiné en 1995 par un Juif extrémiste) et Yasser Arafat, signent la "déclaration de principes sur les arrangements intérimaires d'autonomie" qui prévoit la mise en place d'une Autorité palestinienne intérimaire autonome pour une période transitoire ne devant pas excéder cinq ans dans l'attente d'un règlement final et l'institution d'un Etat palestinien. Dans la foulée de l'accord, le Saint-Siège reconnaît à son tour l'Etat d'Israël et, simultanément, noue des relations officielles avec l'OLP (dont le premier représentant est d'ailleurs un catholique, Afif Safieh).
Ces accords dits d'Oslo laissent entrevoir un retour à la paix. Mais avec l'arrivée au pouvoir de Benyamin Netanyahu, partisan d'une ligne dure, les Israéliens font traîner la suite du "processus de paix", accélèrent la colonisation des territoires (le nombre des colons double : ils sont actuellement 250 000), diffèrent à toujours plus tard la reconnaissance de l'Etat palestinien. Il suffit de la provocation d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem, troisième lieu saint de l'islam, le 28 septembre 2000, pour que la violence éclate à nouveau. Et la victoire électorale de ce dernier aggrave la situation, attisant le feu inextinguible de la haine.
La violence a pour effet de renforcer les extrêmes des deux camps : du côté palestinien, les groupes islamistes (Hamas, Hezbollah, Djihad islamique… ) au détriment de l'autorité de Yasser Arafat ; du côté israélien, le Likoud, les partis religieux et les partisans du Grand Israël s'étendant à la Palestine arabe, au détriment des Travaillistes, généralement plus pacifiques. Extrêmement morcelée, l'opinion publique israélienne oscille entre désir de paix et souci de sécurité. Les actions terroristes provoqués par de jeunes Arabes manipulés par les islamistes ont eu pour effet à différentes reprises de la faire basculer dans le camp des faucons : "on ne peut pas faire confiance aux Arabes", tel est le sentiment qui semble prévaloir dans une partie de la population. L'Intifada fournit le prétexte à Israël de renforcer sa domination militaire et renforce la passivité des Occidentaux qui pensent qu'en ripostant par les armes, Israël applique simplement le principe de légitime défense. Si les attentats-suicides ignobles frappant des innocents attirent à juste titre l'opprobre des médias, ils ont aussi pour effet de relativiser le terrorisme d'Etat israélien, qui est pour autant d'une toute autre ampleur, puisqu'il revient à bombarder la population civile, envoyer les bulldozers entourés de chars détruire de nuit des maisons (habitées), tirer des missiles sur des enfants qui jettent des cailloux… De septembre 2000 à mai 2001, les Israéliens ont notamment détruit 12 églises chrétiennes, 30 mosquées, 4000 maisons, 280 000 oliviers et autres arbres fruitiers et 261 hectares ont été confisqués au profit de l'expansion de colonies israéliennes.
Déjà précaire, l'économie des territoires palestiniens s'effondre. La Cisjordanie compte 80% de chômeurs. En violation directe des conventions internationales, Tsahal bloque les convois humanitaires. Comme devait le reconnaître le 13 août 2001 même Shimon Pérès, ministre travailliste des affaires étrangères israélien, devant le comité central de son parti : "Nous faisons face à un peuple qui compte trois millions de personnes dans les territoires palestiniens (…) Il est impossible d'accepter le fait qu'ils vivent depuis dix mois dans une situation de blocus, militaire et économique. De quelle autonomie disposent les Palestiniens quand nous avons la main sur tous les robinets ?"
Ces faits devaient être rappelés afin de bien comprendre le caractère politique et non directement religieux du conflit israélo-palestinien, même si les trois grandes religions monothéistes sont présentes. Mal informés, certains amalgament Palestiniens et Islamistes. Or il faut savoir, par exemple, que l'OLP n'est pas une organisation islamique mais laïque, où les chrétiens sont actifs, occupent des postes importants, et travaillent en bonne intelligence avec les musulmans. En effet, les chrétiens de Palestine ont subi le même sort que leurs concitoyens musulmans. Israël les a placés eux aussi face à l'alternative suivante : devenir des citoyens de troisième catégorie dans l'Etat hébreu ou partir pour les camps de réfugiés. La plupart adoptèrent la seconde solution, quand ils ne choisirent pas de quitter la région: les chrétiens palestiniens sont aujourd'hui plus nombreux au Chili qu'en Palestine, à Sydney qu'à Jérusalem. Après 2000 ans de présence en Terre sainte, les chrétiens ne sont plus que 50 000 sur trois millions de Palestiniens. Bethléem qui, avant 1948, en comptait 11 000 sur 15 000 habitants, n'en a plus aujourd'hui que 9800 sur 24 000.

Jérusalem

Les antagonismes se cristallisent autour de Jérusalem (oubliée dans les accords d'Oslo), en raison de l'importance de la Ville sainte pour les différents protagonistes : les deux peuples (palestinien et juif) et les trois religions (christianisme, judaïsme et islam). Par la loi fondamentale du 30 juillet 1980, Jérusalem a été déclarée capitale éternelle et indivisible de l'Etat d'Israël. L'Onu et le Saint-Siège ont aussitôt déclaré cette loi fondamentale "nulle et non avenue", mais Israël n'a cure de leur jugement et a toujours refusé de transiger sur ce point. De leur côté, les Palestiniens veulent faire de Jérusalem la capitale de leur futur Etat. Pour bloquer

ce projet, l'Etat hébreu, après avoir annexé Jérusalem-Est (la ville arabe) lors de la Guerre des Six Jours (1967), utilise tous les moyens pour en chasser les Palestiniens. Refus de permis de construire, destruction d'habitations, privation du droit d'y résider ou d'y travailler, discrimination, fiscalité dissuasive. Par contre, les Israéliens juifs se voient offrir de multiples avantages. Quant aux chrétiens de Jérusalem, leur nombre est passé de 34 000 à 7000. Si l'évolution actuelle se poursuit, il n'en restera plus dans vingt ans. Par ailleurs, Israël tente d'attiser les querelles entre chrétiens et musulmans, comme on l'a vu avec l'affaire de la mosquée de Nazareth.
L'Eglise a toujours été extrêmement préoccupée par le sort de Jérusalem. En 1948, Pie XII demandait déjà "un statut international juridiquement établi et garanti" pour cette ville unique au monde. Cette revendication, partagée par nombre d'observateurs même non-chrétiens (et par l'OLP), n'a pas changé. Comme l'expliquait Mgr Michel Sabbah, patriarche latin de la ville, "Jérusalem est une ville sainte. Elle a par cette sainteté un caractère singulier qui la distingue de toutes les villes du monde. C'est pourquoi, elle ne peut ressembler dans son statut à aucune autre ville ou capitale au monde. Elle exige un statut particulier qui garantit le droit de tous ses habitants et des trois religions en elle, qui garantit son caractère de sainteté et son caractère culturel propre, la place au-dessus des guerres et des hostilités et en garantit le libre accès à tous, amis ou ennemis, en temps de paix ou de guerre. Il revient aux deux peuples intéressés, Israéliens et Palestiniens, avec la collaboration des religions concernées, judaïsme, christianisme et islam, de définir ce statut particulier et de gouverner la ville selon ce statut. La communauté internationale, de son côté, et l'humanité entière ont le devoir d'aider les deux peuples à trouver ce statut particulier. La reconnaissance de ce statut par la communauté internationale lui sera une garantie de stabilité. Dans le cadre de ce statut particulier, Jérusalem peut être "capitale" pour les deux peuples concernés et pour deux États, devenant ainsi le berceau et le symbole de la reconnaissance mutuelle et de la coexistence fraternelle entre Palestiniens et Israéliens. Elle sera aussi symbole et source de paix pour tous les peuples de la région et de la terre."
La paix est l'oeuvre de la justice, et celle ci consiste à reconnaître et respecter les droits et les devoirs tant des personnes que des peuples afin de rendre à chacun son dû. Tant que les droits sont bafoués, tant que les libertés sont piétinées, la recherche de la paix est une illusion. La paix n'est pas l'oppression silencieuse imposée par la force des armes. Une paix injuste – véritable oxymoron – ne peut qu'enfanter une nouvelle guerre, plus meurtrière encore. Comme le rappelle le Catéchisme de l'Eglise catholique (2304), "la paix n'est pas seulement absence de guerre et elle ne se borne pas à assurer l'équilibre des forces adverses. La paix ne peut s'obtenir sur terre sans la sauvegarde des biens des personnes, la libre communication entre les êtres humains, le respect de la dignité des personnes et des peuples, la pratique assidue de la fraternité. Elle est tranquillité de l'ordre (saint Augustin)."
Une chose est établie : dans la situation présente, la violence ne résout rien. Les Palestiniens s'avèrent bien démunis : une seule après-midi suffirait à l'armée israélienne pour envahir la totalité des territoires relevant de l'Autorité palestinienne.
La solution du problème est double : reconnaître aux Palestiniens le droit de disposer d'un Etat libre et indépendant, donner un statut spécifique à Jérusalem, garanti par la communauté internationale. La paix reviendra, lorsque cesseront l'oppression et la défiance et lorsque la Ville sainte sera à nouveau libre. A la spirale mimétique de la violence, pour reprendre la terminologie de René Girard, tous les hommes véritablement religieux doivent opposer une vision de paix et de réconciliation, comme l'Église par la voix de ses papes ne cesse de le rappeler, sans se lasser. Pax, salam, shalom. Nous n'oublierons pas Jérusalem.
Denis SUREAU

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